De 1999 à 2039, de la professionnalisation de l’évaluation à l’évaluation intégrée comme outil de pilotage démocratique, est-ce possible ? 

Article paru dans Pouvoirs Locaux, Juin 2019, Michel BASSET, Consultant, Maître de conférences associé à Sciences Po Lyon, Président de la Société Française de l’Evaluation

Les besoins de connaissance et de professionnalisation de l’évaluation sont parmi les enjeux qui ont justifié la création de la Société Française de l’Evaluation (SFE). 20 ans après, bien qu’encore insuffisamment utilisée, l’évaluation a pris une place significative dans la conception et le pilotage de l’action publique. Près de 3000 évaluations identifiées par l’observatoire de l’évaluation de la SFE entre 2007 et 2017. Les nouvelles formes de gouvernance de l’action publique et la demande des citoyens nécessitent de passer d’évaluations plutôt managériales à des évaluations plus politiques. Comment la SFE peut-elle y contribuer ?

A l’aube du XXIème siècle, l’évaluation se professionnalise

Lorsque la Société Française de l’Evaluation a été créé en 1999, il n’existait pas de base de connaissance du corpus des évaluations réalisées en France. Le constat était dressé de sa faible visibilité à l’échelon national et ceci pour plusieurs raisons : flou des frontières entre l’évaluation, le contrôle, la recherche en sciences sociales, éclatement du champ, déficit méthodologique, faible insertion de l’évaluation dans l’action administrative. Pourtant, dans les années quatre-vingt-dix, un certain nombre d’organismes et d’institutions avaient été créés, la Commission d’évaluation du RMI, le Comité National d’Evaluation de la Recherche, la Commission nationale d’évaluation de la politique de la ville et des services au sein de divers ministères. Petit à petit, des guides méthodologiques ont été élaborés contribuant à créer une communauté de vues et de conceptions. Un club de l’évaluation avait également été créé à l’initiative du ministère de la Fonction publique, signe d’un intérêt pour les questions d’évaluation. A noter que les travaux de ce club furent essentiellement alimentés par des expériences d’évaluations régionales plutôt que nationales.

Les années quatre-vingt-dix ont été des années de réelle appropriation des concepts de base de l’évaluation et d’une meilleure compréhension de la pratique des différentes démarches et méthodes. Elles ont ouvert une phase d’apprentissage par la pratique grâce à un foisonnement d’initiatives et d’expérimentations locales, de création de dispositifs régionaux d’évaluation. Il faut dire que le dynamisme de l’échelon régional en matière d’évaluation a été en partie lié à l’obligation réglementaire faite aux régions d’évaluer, que ce soit au niveau des Contrats de Plan Etat-région ou des fonds structurels européen. Les dispositifs en question ont généralement impliqué plusieurs acteurs, représentants des collectivités territoriales, des échelons déconcentrés de l’Etat ou des SGAR. Des compétences nouvelles en évaluation, issues de différentes disciplines des sciences humaines et sociales, ont petit à petit émergé à l’intérieur des services déconcentrés de l’Etat et dans les dispositifs partenariaux avec les collectivités.

En conséquence, au plan des compétences, on assiste à une grande diversification, avec par exemple l’apparition de l’utilisation de la méthode des groupes de comparaison. Ces évolutions ont été rendues possibles, dans un premier temps, par l’obligation réglementaire européenne d’évaluer. Mais, avec un peu de recul, on peut dire que la contrainte ne suffit pas ni à conduire la démarche d’évaluation à son terme, sous peine d’instaurer un rituel bureaucratique, ni à rendre systématiquement l’évaluation utile c’est-à-dire utilisée pour corriger ou concevoir des politiques. La Commission Européenne a d’ailleurs trouvé des dispositifs d’incitation pour pallier ces limites, telle la “ réserve de performance ”, qui attribue, dans le cadre des programmes structurels, un budget supplémentaire aux programmes les plus performants au vu des évaluations. Toutefois, ces mesures, restant cantonnées dans le domaine managérial, n’ont pas suffi à donner à l’évaluation sa dimension d’outil d’arbitrage de choix stratégique en matière de politiques publiques.

A la fin des années quatre-vingt-dix, malgré l’absence d’un observatoire de l’évaluation, on constate une amélioration très nette de la qualité générale de l’évaluation, un développement de la pratique au-delà du cercle des initiateurs originels. En même temps, s’il n’y a pas encore de « métier », on assiste à une structuration de l’activité professionnelle et des organisations dans le domaine de l’évaluation ; l’activité restant cependant confinée au niveau des gestionnaires de programmes et de politiques.

Or, une des questions principales qui a conduit à la création de la Société Française de l’Evaluation était d’élargir la sensibilité par rapport à l’évaluation hors du monde des professionnels.

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